le voila!
MARILYN MANSON, ni Satan ni maître
Article paru dans l'édition du 29.11.03
Vilipendé par les ligues morales américaines, le chanteur de rock, qui passe par Paris et Marseille, dit s'inscrire dans une filiation artistique où l'on retrouve Bosch, Buñuel ou Lovecraft
ROID d'outre-tombe, candélabres et apparition quasi magique : voilà comment le rituel d'une rencontre avec Marilyn Manson a souvent été décrit. A Hambourg, dans la grisaille de la mi-novembre, la suite 341 de l'Hôtel Park Hyatt est bien éclairée et chauffée pour accueillir l'entrée discrète de celui qui est venu s'ajouter, au milieu des années 1990, à la longue liste des musiciens montrés du doigt par les ligues morales et les milieux conservateurs aux Etats-Unis. De ceux qui suscitent des envies de débauche et pervertissent les bonnes âmes sous l'influence des forces du mal. Les bluesmen afro-américains y ont eu droit comme les premiers rockers (Elvis Presley). Dans les années 1960, les disques des gentils Beatles étaient brûlés en place publique ; plus récemment, Madonna a scandalisé avec un maniement à peine érotisé de crucifix.
Que trouve-t-on dans le dossier à charge de Marilyn Manson, né Brian Warner, qui a pu justifier ce statut de suppôt de Satan et lui valoir des menaces de mort ? Quelques images considérées comme blasphématoires, repérées dans d'étranges vidéo-clips plutôt sophistiqués ; une poignée de phrases maniant les symboles apocalyptiques ; une apparence extérieure entre déguisement d'Halloween et haute couture ; ce nom qui mêle la star Marilyn Monroe et le criminel Charles Manson (un procédé que l'on retrouve dans les pseudonymes de ses musiciens) ; la fréquentation de l'Eglise de Satan, fondée en 1966 par Anton LaVey. Le tout sur fond musical de rock extrême, avec saturation des guitares, stridences vocales, mélodies en forme d'hymnes et rythmique de forge industrielle. Sans compter les emprunts au rock dit « décadent » d'Alice Cooper, des Stooges d'Iggy Pop, de David Bowie ou de Lou Reed.
Dans un ensemble noir, coiffé d'un bibi fort seyant, modèle Jean-Paul Gaultier, Marilyn Manson s'arrête, d'un débit posé, sur certains des qualificatifs qui lui ont été attribués. « A mon encontre, les termes «choquant» et «provocateur» ont toujours une connotation négative. Choquer signifie pour moi attirer l'attention, mais dans une perspective artistique. Par paresse, la presse se contente de dire que je suis malsain, dérangeant. En ce qui concerne la création, il y a peu de choses qui me choquent. En revanche, le quotidien des chaînes d'information, l'obscénité des déballages de la vie des gens à la télévision, l'hypocrisie morale qui appelle provocation le fait d'évoquer les peurs et les incohérences de la société américaine et y répond par la censure sont pour moi beaucoup plus choquants. »
De fait, en regardant de plus près les textes de Marilyn Manson, on y trouve surtout une dénonciation de l'Amérique marchande, autodestructrice, où dominent les grands réseaux télévisés, où l'argent roi et le désir de pouvoir sont des valeurs, où le bien et le mal commandent seuls la marche du monde. Un discours politique finalement assez convenu auquel Marilyn Manson sait ajouter un regard sarcastique. En 1996, dans l'album Antichrist Superstar, qui le fit sortir de l'underground, on trouvait par exemple ce glaçant constat en ouverture de la chanson Irresponsible Hate Anthem : « Je suis tellement américain/que je pourrais te vendre ton propre suicide. »
« AVEC LES OUTILS D'AUJOURD'HUI »
Là ou d'autres n'ont eu qu'une guitare acoustique pour mener leur combat, Marilyn Manson préfère un bombardement stroboscopique de lumières et de son. « Ce n'est pas qu'une question d'impact avec l'électricité. C'est ce qui me correspond, ce qui transcrit le plus honnêtement mes recherches artistiques, mes colères. J'ai été adolescent dans une école chrétienne où l'on nous martelait que le heavy metal, le sexe, mais aussi les bonbons, étaient maléfiques. La censure ne fait que donner l'envie d'aller voir de quoi il s'agit. Et bien sûr j'ai exploré tous ces interdits. Ils ne devraient pas nous raconter l'histoire de la pomme d'Eve. »
Avec son sixième album en studio, The Golden Age of Grotesque, qu'il présente comme inspiré par l'Europe et l'Hollywood des années 1920 et 1930, Marilyn Manson affirme plus clairement sa volonté d'être d'abord perçu comme un artiste. « Je me sens assez proche de cette idée du cabaret où l'on prend les tabous sociaux pour les mettre en question par la satire. La musique, le théâtre, la peinture y ont des correspondances. C'est aussi ma démarche, avec les outils d'aujourd'hui. Un artiste doit s'efforcer de ne pas être unidimensionnel. Ensuite, le résultat est convaincant ou pas. J'ai choisi que mon art et ma vie se confondent, pas de créer un personnage. Je suis Marilyn Manson dans les clips, sur scène, dans la rue, quand je dors, durant cet entretien qui peut devenir aussi un élément de ma démarche artistique. »
On recherche alors les références visuelles qui pourraient mieux expliquer Marilyn Manson : les tableaux de Jérôme Bosch, Egon Schiele ou Otto Dix, le maniement des symboles comme chez Luis Buñuel, les films de Murnau ou Tod Browning, les mondes-frontières entrevus dans La Nuit du chasseur ou chez David Lynch, mais aussi les adaptations des contes de terreur de Lovecraft produites par la Hammer et les galeries de monstres des revues de bandes dessinées Amazing Stories ou Creepy Stories. Il acquiesce, un peu timide, mentionne Oscar Wilde ou Shakespeare.
A propos de son ancienne relation avec l'Eglise de Satan, Marilyn Manson explique que ce qui l'a attiré était « la notion développée par LaVey que l'individu est son propre maître. Cela n'avait rien à voir avec des histoires de messes noires. Cela a été pour moi un moyen de me construire quand la chrétienté ne m'avait appris qu'à me fondre dans le groupe. Dans mes spectacles, je dis souvent que c'est à chacun de décider pour lui-même, de faire ses propres expériences, de s'intéresser à ce qui est différent du courant dominant. »
En tant qu'acte artistique, la tournée de Marilyn Manson semble pourtant laisser de côté références et déclarations d'intention. Décor de carton-pâte, rendu sonore qui gomme tout détail, mise en scène basique - avec arrivée sur un trône façon Dracula, fessée (très légère) administrée à une jeune femme, simulations de sodomie et de fellation, musiciens en cuir militaro/sado-maso, harangue en guise de chant... L'art total selon Marilyn Manson est encore en maturation.
P/
biographie
1969
Naissance le 5 janvier à Canton (Ohio).
1990
Création du groupe Marilyn Manson.
1994
« Portrait of an American Family », premier album.
2004
Rôle dans « The Heart Is Deceitful Above All Things », film d'Asia Argento.
