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duss80 le 24 Nov 2004, 16:00
Citattion du journal Le Monde :
MUSIQUE
Comment Nirvana réinventa le rock
LE MONDE | 24.11.04 | 15h15Dix ans après le suicide du chanteur Kurt Cobain, un coffret de trois CD et un DVD célèbrent l'originalité violente et poignante du trio américain.
Le nom de Kurt Cobain referme la cohorte des (éternellement) jeunes martyrs du rock à une époque, les années 1990, où les candidats au sacrifice se raréfiaient. Dix ans après son suicide à l'âge de 27 ans, vers le 5 avril 1994, le chanteur du groupe américain Nirvana fait l'objet d'un culte plus morbide que romantique, dont la première victime est sa musique. La parution d'un coffret de trois CD et un DVD, With The Lights Out, permet de revenir à l'essentiel : ses chansons. En célébrant un artiste et non un christ grunge.
Ce bel objet métallique, qui renferme 81 titres - dont 68 enregistrements inédits -, a usé la patience des fans. Le projet, qui remonte à 2001, a été bloqué par une querelle d'héritage opposant Courtney Love, la veuve de Cobain, au bassiste Krist Novoselic et au batteur Dave Grohl. Mais l'attente est récompensée : ce recueil archéologique permet de comprendre, à partir de chutes de studio, d'extraits de concerts, de passages radio et de faces B, comment trois creeps ("minables") originaires de Seattle (Nord-Ouest des Etats-Unis) ont réinventé le rock après sa mort. Tout y est : fulgurances et maladresses, tubes et essais à peine audibles.
Rien ne prédisposait Nirvana à devenir un emblème des années 1990. Le DVD présente un document saisissant : les répétitions des apprentis rockeurs dans la maison de la maman de Novoselic. Un caméscope a immortalisé une vision de la jeunesse américaine en 1988 : trois types entourés de bières et de copains avachis, évacuant dans le boucan ennui et frustration - Cobain, face au mur, dos à la caméra, hurle.
L'URGENCE ET L'ÉTHIQUE
Cette jeunesse est celle d'Elephant, la Palme d'or de Gus Van Sant, qui prépare un film sur Cobain : des desperados livrés à eux-mêmes, des enfants du divorce, de la faillite parentale et de la fin des utopies, des archétypes de la Génération X décrite en 1991 par l'écrivain canadien Douglas Coupland. Seul le nihilisme le plus radical, la crétinerie assumée (le premier projet de Cobain s'intitulait Fecal Matter, "matière fécale") pourront choquer leurs aînés.
Aucun producteur n'aurait misé un cent sur ces amateurs qui massacrent dans un déluge de larsens trois titres de Led Zeppelin. La culture de Cobain, qui secoue violemment sa chevelure, est en tout cas le hard rock. Il a grandi entre des posters de Kiss et d'Aerosmith, avec les litanies sataniques de Black Sabbath que son père lui a fait découvrir : même le heavy metal ne saurait être pour lui un vecteur de révolte familiale.
De par sa formule de power trio - chanteur hurlant sur une guitare saturée, basse cinglée au médiator, batterie au bord de la syncope -, Nirvana a ressemblé d'abord à un Motörhead du pauvre. Comme le groupe de Lemmy, Cobain et ses compères tentent de mêler à la puissance du metal l'urgence et l'éthique du punk. Si l'album Nevermind (1991) se réfère au Never Mind The Bollocks des Sex Pistols, avec l'ambition d'être un manifeste générationnel, Cobain ne partage pas pour autant le cynisme destructeur de Johnny Rotten.
Sa définition du punk est la meilleure que l'on connaisse : "Le punk est la liberté musicale. C'est dire, faire et jouer ce que tu veux." Dévoré par sa passion de la musique - il mettra fin à ses jours quand il dira ne plus ressentir aucune excitation dans ce domaine -, Cobain ne cesse de dresser des listes de disques préférés où l'illustre côtoie l'obscur. Il s'inclinera ainsi devant les Meat Puppets de Seattle, les Vaselines d'Edimbourg ou les Raincoats de Londres, que lui seul semble connaître. Ce qui le sauve artistiquement, c'est son amour de la mélodie.
Dès 1988, avec About a Girl, il paie son écot aux Beatles. La souffrance qu'il exprime dans son chant (alternance de gémissement et de hurlement) évoque le cri primal expérimenté par Lennon en 1970. L'univers des Beatles se nimbe chez lui de mélancolie.
A cet alliage inédit de metal, de punk et de pop anglaise manque la patine du blues. On connaissait, grâce à l'album MTV Unplugged in New York (1994), la déchirante version que donna Nirvana, quelques mois avant la mort de son leader, de Where Did You Sleep Last Night, de Leadbelly. Le coffret contient trois autres reprises du folksinger louisianais des années 1930 (Grey Goose, Ain't It a Shame et They Hung Him on a Cross) enregistrées avec les amis de Screaming Trees. Ces interprétations sont magnifiques, à la fois respectueuses et personnelles.
Le deuxième CD se termine logiquement avec Smells Like Teen Spirit, canonique du style de Nirvana : couplet sous tension, explosion au refrain. C'est l'apogée et la fin. La chaîne musicale MTV passe le clip en rotation, la génération zéro tient enfin son Satisfaction, une dizaine de millions d'exemplaires de Nevermind se vendront dans le monde. La mode est au grunge, aux cheveux longs et sales, aux chemises de bûcheron et aux bermudas déchirés. Seattle devient le centre du monde, le système vacille. Un accident de l'histoire a permis à des inconnus, issus d'une scène indépendante, de détrôner Michael Jackson.
Le succès aggrave la dépression et la toxicomanie de Cobain. Essentiellement constitué des chansons qui composeront le troisième et ultime album studio, In Utero (1993), le troisième CD révèle les efforts de Nirvana pour briser l'engrenage : retour au bruitisme originel, commercialement suicidaire. Ces cinq heures de bruit et de fureur laissent finalement place à un apaisement désespéré, les derniers enregistrements de Cobain, seul à la guitare sèche, dont un All Apologies ("tout s'excuse") testamentaire. Le DVD se referme, lui, sur une ludique version de Seasons in the Sun, l'adaptation anglaise du Moribond - qui eût cru que Cobain avait chanté Brel ? Le trio a échangé ses instruments, comme des gamins redécouvrant l'enfance du rock.
Bruno Lesprit
Nirvana, With the Lights Out, un coffret de 3 CD et 1 DVD Geffen/Universal.
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De Bush à Steeve Estatof, des clones en série
Après la mort de Kurt Cobain, qui marque pourtant le reflux de la vague grunge, l'industrie du disque a multiplié les clones de Nirvana, parfois lucrativement comme dans le cas des groupes britannique Bush ou canadien Nickelback. L'avènement de Nirvana a aussi permis la commercialisation de formations néo-punks (Green Day, Sum 41, Blink 182), très populaires auprès des 10-20 ans, en alliant violence sonique et mélodies accrocheuses, mais sans l'énergie du désespoir. Le trio britannique Muse vend quant à lui des millions de disques en s'inspirant de l'intensité de Kurt Cobain, mêlée à des éléments de rock progressif.
L'onde de choc de Nirvana n'a pas épargné la France. Que ce soit avec le jeune groupe Kyo, qui a triomphé aux Victoires de la musique, ou avec Steeve Estatof, lauréat de l'émission de télé-réalité de M6, "A la recherche de la nouvelle star". Ce rocker égaré dans le milieu des variétés a même été présenté comme le "Kurt Cobain français".
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.11.04
Voila, première partie intéressante je trouve, mais la fin assez étrange...