"Anvil, The Story of Anvil" : le heavy metal, ressource insoupçonnable de drôlerie et de mélancolie
LE MONDE | 02.02.10 | 16h21 • Mis à jour le 02.02.10 | 16h58
On peut être navré au spectacle d'un quinquagénaire coiffé d'une toison artificiellement bouclée, qui fait d'horribles grimaces en jouant très fort de la guitare électrique devant quelques dizaines de consommateurs de bière. Ou alors, comme Sacha Gervasi, le réalisateur d'Anvil, The Story of Anvil, être fasciné par la persévérance de l'homme en question, Steve "Lips" Kudlow, guitariste et chanteur d'Anvil, groupe de heavy metal canadien. Cette fascination est communicative, d'abord parce que ces adolescents éternellement prolongés évoquent une sympathie qui n'a rien à voir avec la musique qu'ils jouent. Ensuite parce que le heavy metal se prête admirablement à la comédie, comme on le sait depuis la création du groupe fictif Spinal Tap, objet d'un faux documentaire en 1983.
Réalisé entre 2005 et 2007, présenté dès janvier 2008 au Festival de Sundance, Anvil, The Story of Anvil est un vrai documentaire qui raconte comment deux amis, Kudlow et le batteur Robb Reiner, ont continué à jouer leur musique pendant plus d'un quart de siècle, après avoir effleuré la gloire au début des années 1980. A cette époque, après que le soufflé punk fut retombé, des formations inspirées de Led Zeppelin, Black Sabbath ou Deep Purple portèrent le heavy metal à un niveau sonore encore inconnu. Metallica, Megadeth devinrent ainsi des stars mondiales, vendant des millions de disques en ces temps reculés où l'on en achetait encore.
Après avoir fait jeu égal avec ces groupes pendant quelques mois, Anvil retomba dans l'obscurité, faute de management compétent, de maison de disques entreprenante et surtout de chance. Au début des années 1980, Sacha Gervasi était la risée de ses camarades punks parce qu'il aimait le metal. Fan d'Anvil, il en devint le roadie pour deux tournées, avant de perdre les musiciens de vue et de devenir cinéaste. Vingt-cinq ans plus tard, pris d'une curiosité facilement satisfaite grâce à Google, il découvre que le groupe existe encore, prend contact avec Steve Kudlow et décide de réaliser un documentaire.
Anvil, The Story of Anvil, avec son titre tautologique, n'hésite pas à se moquer du folklore du heavy metal : les tenues, les poses, les clichés musicaux prennent toute leur incongruité quand ils se déploient devant quelques dizaines de spectateurs transis égarés dans un gigantesque gymnase des Carpates. Une bonne partie du matériel a été filmée pendant une catastrophique tournée européenne organisée par une manager d'occasion, Tiziana Arrigoni, qui restera comme un grand personnage comique.
Gags et paroxysmes
Gervasi avait réuni des dizaines d'heures d'images (le film est tourné en numérique) mais il a préféré un montage très serré qui privilégie les gags et les paroxysmes. Les difficultés matérielles (Steve Kudlow survit en livrant des repas chauds dans les cantines scolaires), la dépression qui manifestement poursuit Reiner sont simplement évoquées. C'est pourtant assez pour que Anvil, The Story of Anvil, ne soit pas qu'une comédie burlesque mais aussi un film drôle et mélancolique sur le temps qui passe.
P. S. : Depuis la sortie du film, les musiciens ont trouvé les engagements qu'ils voulaient, jouent devant des foules enthousiastes et gagnent leur vie décemment.