Une bonne grosse peste et ça repart
Susan George a écrit :
Si les faits sont connus, il est cependant bon de les rappeler. La population de la Terre a doublé depuis 1970, époque où la planète comptait un peu moins de 3 milliards d'habitants. Chaque année, les quelque 175 millions de grossesses se traduisent par 133 millions de bébés vivant à la naissance (les 42 millions de la différence étant avant tout dus aux avortements, légaux ou illégaux).
La mortalité mondiale est d'environ 52 millions de personnes par an, ce qui signifie que l'augmentation nette de la population est de 81 millions d'individus par an (en 1995). Autrement dit, ce sont au moins 360 000 bébés qui naissent en moyenne tous les jours, dont plus de 90 % dans le Tiers Monde; ou, si l'on préfère, c'est l'équivalent de la population du Mexique tous les ans, de celle de l'Inde tous les douze ans. Ce sont pendant ce temps 142 000 personnes qui meurent chaque jour, dont beaucoup ont dépassé depuis longtemps leurs années de fécondité. Tout au long de l'histoire, taux de mortalité et de fertilité ont été virtuellement identiques : il mourait autant de personnes qu'il en naissait. Un grand nombre d'êtres humains n'atteignaient pas le stade de la reproduction.
Aujourd'hui, la fertilité dépasse la mortalité de 250 %. La mortalité infantile continue à chuter et l'espérance de vie à augmenter. La population mondiale aura augmenté, dans la décennie quatre-vingt-dix, plus que dans n'importe quelle décennie précédente. Même si la fertilité décline de manière marquée, comme elle a commencé à le faire dans plusieurs pays, la population continuera à augmenter dans les décennies à venir du fait de l'impulsion due à la pyramide des âges. Au moins un tiers de la population de tous les pays pauvres est âgée de moins de quinze ans; au Kenya, 60 % de la population est au-dessous de cet âge. La pyramide des âges favorise la natalité présente et future.
Le temps que nos mandants lisent ce rapport, la population mondiale aura atteint le chiffre de 6 milliards. Elle atteindra celui de 7 milliards en 2008, celui de 8 milliards en 2020. Les prévisions pour les décennies à venir varient de 9 à 13 milliards, en fonction des hypothèses de départ. La population de la trentaine de pays dits riches est stable ou en déclin. Dans tous les autres, elle continue à augmenter, même si c'est à un taux en général plus bas que dans les décennies précédentes. Les scénarios de stabilisation les plus optimistes reconnaissent qu'on ne parviendra à l'équilibre qu'à un niveau extrêmement élevé (10 à 12 milliards) et que ce stade ne sera pas atteint avant une période allant de 2050 à 2075.
Susan George a écrit :
Contrairement à la doctrine libérale et à ce que disait Adam Smith, la décision rationnelle d'améliorer son sort sur le plan économique en faisant des enfants ne se traduit pas par des effets favorables pour la société dans son ensemble; du moins si l'on définit ces effets comme une amélioration de la situation des personnes les moins bien loties de cette société. Bien qu'elle améliore la situation des élites locales - en termes relatifs comme absolus -, la liberté de se reproduire ne sert pas l'intérêt public, si intérêt public veut dire maintien du système libéral, niveau d'égalité raisonnable entre les citoyens et préservation de la planète. La « main invisible » est tenue en échec par la «matrice invincible ».
(Le Rapport Lugano, Susan George, Arthème Fayard, 2000)