Voilà, j'ai réussi à choper l'article à l'aide de mon VPN professionnel. Il y a même un morceau de Sebastian Dieguez dedans.
Catherine Cochard, Pourquoi certains seniors sont-ils si odieux en ligne? 24 Heures, vendredi 7 juillet 2023.
Citation:
On les imagine peu enclins au numérique et à la polémique sur les réseaux sociaux.Il n'en est rien. Des trolls très actifs sévissent aussi parmi les plus de 60 ans.
« Il y a environ six mois, j'ai eu peur de sortir de chez moi. Je craignais que les personnes avec lesquelles je m'étais sérieusement pris le bec en ligne me retrouvent et me fassent du tort. » L'homme qui s'exprime ainsi fait partie des internautes qui commentent régulièrement nos articles. On l'appellera Bob, mais il s'exprime ici - comme sur les réseaux sociaux - sous pseudo « pour protéger sa vie privée ».
Ce senior de la région lémanique est représentatif de la plupart des personnes qui s'expriment sous nos publications Facebook, réseau social de prédilection des 50 ans et plus. « J'ai commencé à commenter les articles durant le Covid. Le déclencheur fut de lire toute une masse d'aberrations relatives aux vaccins. C'est ce qui m'a donné envie de rectifier les choses. »
Et ça a marché? « Non. » Les discussions sont-elles néanmoins intéressantes? « Non plus. Une seule fois, j'ai lu des commentaires pertinents d'un anonyme qui devait être un scientifique de l'Université de Lausanne. Le reste du temps, il n'y a rien à en tirer, si ce n'est le triste constat que les individus peuvent être particulièrement odieux. » Ce qui ne l'empêche pas d'y revenir quotidiennement.
Le « boomer troll »
Les boomers qui s'expriment - et, pour certains, dérapent - sur nos plateformes numériques sont nombreux. « On imagine les seniors moins connectés que les jeunes... Cette image est obsolète et erronée, ils sont tout autant sur leur smartphone » , rappelle Martine Brunschwig Graf, ancienne conseillère d'État genevoise et présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR) dont le mandat concerne aussi les contenus racistes et propos xénophobes en ligne. « N'oublions pas que ces gens dont on parle avaient dans la quarantaine lorsque Facebook est apparu. Ils ont donc largement eu le temps et l'occasion de s'y mettre. »
La culture internet a même inventé un terme pour les identifier:
les « boomer trolls ». « C'est un sujet de moquerie intergénérationnelle qui désigne essentiellement des personnes de plus de 60 ans qui croient bon d'intervenir à tout propos, étaie Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences à l'Université de Fribourg. Mais il désigne aussi un phénomène plus inquiétant, proche d'une forme de radicalisation en ligne, où le boomer donne libre cours à ses fantasmes, ses préjugés et sa haine, et même à sa cruauté, profitant d'un système qui lui « donne » enfin la parole. Ces aspects-là font l'objet de très peu d'études. »
Membre de l'Avivo, l'Association de défense et de détente des retraités, Martine Desarzens, 80 ans, fait partie de nos commentateurs réguliers, comme Bob. « Mon rituel tous les matins, c'est d'aller au bistrot lire les journaux. Quand un sujet m'intéresse, je prends mon natel pour le commenter en ligne » , précise l'ancienne pédagogue, qui fut aussi conseillère communale à Lausanne.
Celles et ceux qui glosent sous les articles de presse forment une communauté de gens qui s'aiment ou ne s'aiment pas, mais qui se retrouvent en ligne pour renforcer ce qui est dit ou s'y opposer, à l'instar de Martine Desarzens. « J'ai baigné depuis toute petite dans un milieu où on discutait de tout et surtout de ce qui n'allait pas à Lausanne. On n'hésitait pas à s'adresser par écrit au syndic pour lui dire ce qui ne nous convenait pas. J'écrivais aussi régulièrement au courrier des lecteurs des journaux pour faire part de mon avis sur ce qui avait été publié. Il y a une dizaine d'années, je me suis créé un profil Facebook pour pouvoir réagir aux articles et m'exprimer en ligne. »
Les rouspéteurs ne sont pas nés avec internet et les réseaux sociaux, mais ces plateformes ont donné de la visibilité à leurs propos. « Ils existaient déjà avant et exprimaient probablement pareillement leur grogne mais par d'autres canaux, moins visibles et plus privés » , observe Martine Brunschwig Graf.
Du temps à disposition
Martine Desarzens passe quotidiennement beaucoup de temps à rebondir sur ce que d'autres écrivent. « Sur certains sujets, je peux être très réactive, avoue-t-elle. Comme je suis à la retraite, j'ai le temps pour ça. » Et que pense-t-elle de l'agressivité qui règne en ligne? « En tant qu'ancienne politicienne, j'ai l'habitude qu'on me parle mal ou qu'on me dise de me taire. J'ai le cuir dur. » La retraitée dit rester courtoise, mais il arrive que certains de ses propos soient effacés parce qu'ils contreviennent aux règles de modération. « Me faire censurer m'est complètement égal. C'est mon plaisir d'essayer puis de revenir de manière plus modérée pour que ça passe. »
Pour cet article, nous avons également contacté nos plus virulents commentateurs sur Facebook, ceux dont les propos sont très régulièrement dénoncés puis effacés par nos modérateurs. Ces boomer trolls - leur manière de s'exprimer et leurs références permettent facilement d'estimer leur âge - n'ont pas souhaité nous répondre. Ils n'étaient pas intéressés ou ne se sentaient pas concernés. L'échange d'idées ne ferait donc pas partie de leurs motivations? « Un débat suppose au minimum qu'on écoute l'avis de l'autre, étaie Martine Brunschwig Graf. Ces personnes ne sont pas là pour discuter mais seulement pour asséner leur vérité et décharger leur bile. »