Grace à Oliolo, j'ai trouvé cet extrait d'un entretien avec Boris Cyrulnik paru en mai 2001, dans Le Monde de l'éducation n° 292.
Citation:
Parmi toutes les formes de résilience étudiées dans Les vilains petits canards, vous insistez sur la "fantaisie artistique" comme le principal outil pour affronter le malheur. Et, en citant une liste impressionnante d’écrivains, vous indiquez que "l’orphelinage et les séparations précoces ont fourni une énorme population de créateurs"
Boris Cyrulnik:
Attention, la réciproque n’est pas vraie : si la souffrance contraint à la créativité, cela ne signifie pas qu’il faille être contraint à la souffrance pour devenir créatif. Par ailleurs, tous les orphelins ne deviennent pas des créateurs, loin de là.
Cela étant, lorsqu’on souffre, on éprouve, de fait, une sensation de manque et d’amoindrissement et on a l’impression de ne pas être à la hauteur par rapport au monde autour de soi. Pour essayer de réparer ce manque, on peut réussir à le combler par l’hyperactivité. Mais, dès le moment où l’action cesse, on retrouve par la pensée la cause de sa souffrance. En fait, le plus sûr moyen de calmer l’angoisse induite par une sensation de manque consiste à remplir le vide avec des représentations ayant pour but de transposer cette souffrance. L’invention picturale ou la fantasmagorie littéraire permettent de supporter le réel désolé en apportant des compensations magiques, et il est troublant de constater que beaucoup d’artistes et d’écrivains connus ont été marqués par des souffrances précoces. Chez ces personnalités blessées dans leur enfance, le besoin de création peut représenter quelque chose de vital pour reconstruire leur existence et les empêcher de sombrer. Mais, j’insiste là-dessus, cela n’a rien à voir avec l’accès ou non à la notoriété, et chacun à son niveau peut profiter de la fantaisie artistique.