Biosmog a écrit :
PP a écrit :
(...)
bref rappel : la justice en France est rendue "au nom du peuple français", pas en fonction des travaux de Foucault et autres penseurs de l'inefficacité carcérale.
Je pense que tu ignores, volontairement ou non, le sens précis du mot "complice" que tu utilises à tort et à travers, dans des buts que je ne jugerai pas ici. Je constate que le sens de certains mots se perd. Pour moi, la perversion de la pensée passe par une perversion du langage. Et ... ça m'énerve, pour rester dans le sujet.
Tu peux décrire ta pensée sur la justice de plusieurs manières différentes, mais dire qu'un juge est complice d'un meurtrier parce qu'il ne le condamne pas de la façon dont tu estimes qu'il devrait être condamné est une faute de français si ce n'est une faute tout court.
Pour l'histoire de la prison, Foucault n'est qu'un des derniers critiques de cette institution, et il l'a fait d'une manière assez différente de ses prédécesseurs. En réalité la prison comme peine, c'est très récent. La détention était utilisée jusqu'au XIXème en attendant le jugement ou en attendant la peine. Quand cela a commencé à se transformer en châtiment, les gestionnaires de l'exécution des peines, braves descendants de lignées de bourreaux et autre capitaines de galères, peu suspects d'humanisme, se sont élevés pour dire que les hommes, enfermés, étaient devenus pire que lorsqu'ils y étaient entrés. On a des sources, c'est documenté très largement si tu t'intéresses: depuis toujours, on a considéré la prison comme un compromis provisoire, parce qu'on n'avait pas d'autres solutions. Et qu'on savait que cela ne faisait qu'empirer le mal.
Mais de l'autre côté, l'État moderne émergeant péniblement au XIXème, qui tentait de monopoliser la violence légitime, devait absolument éradiquer la vengeance privée. Car on peut le constater à chaque drame, les victimes et leur proche s'élèvent pour venger le crime. Mais il fallait que l'Etat montre une image exemplaire de conduite civilisée, impossible à confondre avec les conduites qu'il devait condamner: il ne devait pas se montrer aussi barbare que les barbares.
Je la fait courte, je ne vais pas passer trois heures. Mais sache qu'aucun pénaliste, aucun sociologue n'a jamais réussi à montrer un lien statistique entre la pénalité et la violence d'une société. On sait que les pays qui ont les châtiments les plus violents, les plus sévères, ont la criminalité la plus importante. Il existe même des articles scientifiques qui montrent qu'à certaines périodes, aux USA, l'augmentation carcérale précède l'augmentation de la criminalité. En termes de causalité, on peut faire mieux, mais il semble bien que la prison, la violence de l'État (oui, la prison est une violence), même tout à fait légitime, n'ait aucune efficacité pour policer une société. Certains estiment même qu'elle suscite la violence dans la société. On sait en tout cas que la plupart des grands criminels sont passés par l'apprentissage de la prison. On sait qu'après 10 ans de prison, personne ne sort intact.
Je sais que c'est assez difficile à croire, parce qu'on est élevé dans l'idée que tout châtiment, et par extension celui de réclusion, possède un caractère dissuasif, mais ce n'est pas ce que pense tous les gens qui étudient le sujet sérieusement. A un autre niveau, des expériences de psychologie sociale, voire même d'éthologie, montrent des choses qui vont dans ce sens: l'homme ne fait partie des animaux qu'on peut dresser à coup de savate.
La prison est une question sans réponse. Elle nous met face à nos impossibilités, de nos limites d'être à la fois de pulsions et d'éthique. Elle montre que nos vies sont bâties sur une négociation avec la réalité. Évidemment, il y aura toujours des individus qui pensent qu'il existe des réponses, qu'il existe un idéal réalisable, un Heimat, un lieu parfait, quelque part dans le passé ou dans l'avenir, une direction. Il y aura toujours des individus convaincus qu'il n'y a pas de contradiction dans l'humanité, que le mal et le bien existe distinctement et indépendamment de leur jugement de valeur. Il y aura toujours des gens qui chercherons le confort d'une certitude que l'on peut obtenir à l'aide de quelques réclusions.
Mais il y aura toujours aussi d'autres personnes (et comme je te l'ai dit il y en a toujours eu), dont certains juges professionnels, qui essaient de trouver une solution viable à défaut d'être bonne, selon leur conviction. Et cela n'en fait pas des complices.