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Rencontre avec Marc’O à l’occasion de l’édition en DVD de son film Closed Vision.
Marc Gilbert Guillaumin est un méconnu célèbre : dès qu’on prononce le nom sous lequel il s’est fait connaître — Marc’O — en bonne compagnie, pas mal de gens l’identifient tout de suite comme le maître d’œuvre du film
Les Idoles, de 1967, qui fut assurément le premier « film culte » de la mythologie rock en France, dans sa version la moins frelatée : Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon et le brûlant Pierre Clémenti y définissaient, dans une optique bordélique / contrôlée, ce mélange particulier d’attitude pop et d’ambition révolutionnaire qui allait directement trouver son emploi dans le merveilleux mois de mai de l’année 1968.
Mais Marc’O était en vérité un bien plus vieux bandit : maquisard à peine sorti de l’enfance, il fréquente très vite la frange la plus indisciplinée de l’avant-garde d’après-guerre, les lettristes. Fasciné, comme tout le monde à l’époque, par le culot et la désinvolture d’Isidore Isou, il produit le
Traité de bave et d’éternité, manifeste sulfureux qui fit vieillir d’un coup le surréalisme français. Dans la foulée, il publie un fort volume collectif, Ion, où apparaît le premier texte de Guy Debord : il s’agit du scénario d'
Hurlements en faveur de Sade, dans une version « princeps » si juvénile et colérique que Debord, qui plus tard devait affirmer qu’il ne se corrigeait jamais, considéra toujours comme une épine dans le pied de sa légende.
Breton, Cocteau, Isou, Wolman, Debord, mais aussi la nouvelle vague, Jean Eustache, le Living Theater : Marc’O fut presque de tous les mauvais coups que la jeunesse en colère porta à la société pendant quatre décennies. Après avoir longuement évolué dans l’orbite du théâtre indiscipliné, il fut à l’origine d’une étrange revue, devenue depuis un « support multimédia » :
Les Périphériques vous parlent. Sans jamais singer les positions théoriques des mouvements contestataires passés, les Périphériques cristallisèrent, peut-être à leur insu, une sensibilité révolutionnaire qui résonnât parfaitement avec le grand mouvement social de l’hiver 1995.
Volontiers tourné vers le futur, et peu porté sur les nostalgies d’ancien combattant, Marc’O ne s’était jusqu’à présent pas préoccupé de rééditer
Closed Vision, un film qu’il réalisa en 1954 : c’est désormais chose faite. On découvre à cette occasion qu’un cinéma « lettriste » assez orthodoxe, jusque dans ses naïvetés rhétoriques, peut aussi accepter la pure beauté plastique de plans chipés à Dreyer ou à Welles. Cette parenté secrète n’étonnera que ceux qui se pincent le nez devant l’étiquette « expérimentale », en feignant d’ignorer que c’est la vie elle-même qui est expérimentale, si tant est qu’on choisisse de ne pas la vivre à l’ombre de la soumission. Aujourd’hui, à plus de quatre-vingt ans, Marc’O reste un jeune homme qui n’a toujours pas décidé de se résigner.
Gilles Tordjman
Marc’O : Closed Vision, 1954. 35mm, 70 mn, noir et blanc, produit par Léon Vickman, musique de Roger Calmel. Édition 2010 en DVD par Les périphériques vous parlent. 19 €