Pour ma part, ce que je retiens de cette soirée, c'est un très gros malaise par rapport à ce énième rebond de « l’affaire Polanski ».
Je n’arrive pas à me satisfaire du principe rassurant porté par l’actuel ministre de la culture qui voudrait qu’on distingue l’œuvre de l’artiste : quand je vais voir « J’accuse », c’est bien un film de Polanski que je regarde, et d’ailleurs que j’apprécie. La dimension personnelle de son auteur, c’est ce qui caractérise une œuvre. Sauf à me mentir je ne peux donc ignorer que ce créateur, parmi ses nombreuses facettes, des plus talentueuses aux plus sordides, a abusé il y a plus de 40 ans d’une fille de 13 ans et que la rumeur prétend que cette fille ne serait pas la seule.
Il me reste donc la possibilité d’aller voir ce film avec cet arrière-plan en tête ou de juger que cela ne m’est pas possible pour des raisons morales. C’est ce qu’on appelle le cas de conscience, c’est-à-dire le jugement personnel, celui du « for intérieur ».
Le jugement de la société, le jugement public, est habituellement celui prononcé par le tribunal. Celui-ci ne juge pas au regard de la morale, mais au regard du droit. Dans l’affaire Polanski, c’est ce jugement qui pose problème. La faute ? Elle relève tant de la justice américaine – le même juge après une première décision de justice légère décide de rejuger l’affaire sous la pression publique – que de Polanski qui décide de fuir les US et sa justice. Depuis 1977, pour la justice américaine cette affaire n’est donc pas close. L’accusé s’étant soustrait à la loi, on ne peut affirmer qu’il a purgé sa peine vis-à-vis de la société.
A défaut, peut-on transformer une quelconque assemblée, ici les Césars, en un tribunal de substitution ? L’exemple de ce qui s’est passé me fait dire que non.
Soyons bien clair : je ne parle pas de la décision de certains de quitter la salle, ou même de ne pas y venir, pour marquer leur désapprobation, leur écœurement même, de voir figurer le nom de Polanski au palmarès. Ça je le respecte, c’est ce que j’ai appelé le jugement dans son for intérieur.
Ce qui m’a beaucoup troublé dans cette « cérémonie », et dans le rôle que s’est donnée sa maîtresse, c’est le fait de jeter aux chiens quelqu’un – quoiqu’il ait fait. La vindicte populaire télévisuelle n’est pas une justice ! Comme ne l’était pas celle qui faisait pendre le coupable proclamé par la foule au Far-West.
Là encore l’animatrice aurait déclaré : « j’avais accepté de présenter cette soirée, mais l’omniprésence de Polanski m’est devenue insupportable. En conséquence, vous ferez sans moi et ma conscience… ».
Au contraire de cela, on cherche à faire rire avec l’affaire. On utilise des sous-entendus pour dénoncer, évoquer. On outrepasse sa position personnelle et on cherche à tout prix une adhésion du public à un jugement moral…
Très gros malaise pour moi.
Mais Canal + se frotte les mains. Le buzz, c’est de l’audience.