On trouve ce fragment de Freud datant de 1912 dans
La vie sexuelle (PUF, page 61)
http://www.megapsy.com/Textes/(...)3.htm
Le courant tendre et le courant sensuel n'ont fusionné comme il convient que chez un très petit nombre des êtres civilisés
presque toujours l'homme se sent limité dans son activité sexuelle par le respect pour la femme et ne développe sa pleine puissance que lorsqu'il est en présence d'un objet sexuel rabaissé, ce qui est aussi fondé d'autre part, sur le fait qu'interviennent dans ses buts sexuels des composantes perverses qu'il ne se permet pas de satisfaire avec une femme qu'il respecte. Il ne parvient à une pleine jouissance sexuelle que lorsqu'il peut s'abandonner sans réserve à la satisfaction, ce qu'il n'ose pas faire par exemple, avec son épouse pudique.
De là provient son besoin d'un objet sexuel rabaissé, d'une femme moralement inférieure à laquelle il n'ait pas à prêter de scrupules esthétiques, qui ne le connaisse pas dans sa vie et ne puisse pas le juger. C'est à une telle femme qu'il consacre de préférence sa puissance sexuelle, même si sa tendresse va tout entière à une femme de plus haut niveau. On observe très fréquemment, chez les hommes appartenant aux classes sociales les plus élevées, le penchant à garder longtemps pour maîtresse et même à choisir pour épouse une femme de condition inférieure; il se peut qu'il n'y ait, aussi dans ce cas, rien d'autre que la conséquence du besoin d'avoir un objet sexuel rabaissé auquel est liée psychologiquement la possibilité de la satisfaction complète.
Je n'hésite pas à rendre également responsables de ce comportement amoureux si fréquent chez les hommes civilisés, les deux facteurs qui agissent dans le cas de la véritable impuissance psychique, à savoir : la fixation incestueuse intensive de l'enfance et la frustration réelle de l'adolescence.
Ce que je vais dire est déplaisant à entendre et au surplus paradoxal, mais on est pourtant forcé de le dire pour être, dans la vie amoureuse, vraiment libre et, par là, heureux, il faut avoir surmonté le respect pour la femme et s'être familiarisé avec la représentation de l'inceste avec la mère ou la sœur. Celui qui, à l'égard de cette exigence, se soumet à un examen de conscience sérieux découvrira sans aucun doute au fond de lui-même que, malgré tout, il considère l'acte sexuel comme quelque chose de rabaissant, qui ne tache et ne souille pas que le corps.
Cette appréciation, qu'à coup sûr il ne s'avoue pas volontiers, il ne pourra en chercher l'origine que dans cette période de sa jeunesse où le courant sensuel était en lui déjà puissant mais se voyait interdire la satisfaction sur un objet étranger presque aussi rigoureusement que sur un objet incestueux.
Les femmes dans notre civilisation, subissent pareillement l'effet lointain de leur éducation et, en outre, le contrecoup du comportement des hommes. Naturellement, pour la femme, le dommage est le même, si l'homme vient à elle sans sa pleine puissance que si la surestimation initiale, due à la passion amoureuse est remplacée par la dépréciation, une fois que l'homme l'a possédée.