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e duel s'annonce épique entre Paris et Londres lors du sommet européen jeudi et vendredi. De passage hier à Paris, le premier ministre Tony Blair a répété qu'il n'était pas question de toucher au chèque britannique, le rabais au budget européen dont Paris réclame la disparition progressive. Il a aussi dit tout le mal qu'il pensait de la Politique agricole commune (PAC), sur laquelle Paris exclut justement de négocier. «Il est difficile d'imaginer combler ces différences, a commenté Tony Blair, mais bien sûr nous continuons à discuter».
Le Premier ministre achevait hier une tournée européenne qui l'a conduit à Moscou, Berlin, Luxembourg et Paris. Londres est en effet au coeur du drame qui se noue à la veille du Conseil européen, le premier sommet après le séisme qu'ont représenté les deux non, français puis néerlandais, à la Constitution. Pour la présidence luxembourgeoise de l'UE, et nombre de dirigeants européens, un accord sur le budget communautaire 2007-2013 à l'ordre du jour du Conseil, avec la crise institutionnelle est capital afin de montrer que l'Union peut rebondir. Mais pour y parvenir, un geste de Londres paraît indispensable.
Financement en question. «Concernant le financement de l'Union, c'est très difficile», nous avons «un désaccord aigu», a expliqué Tony Blair. L'entretien d'une heure et demie avec le président Jacques Chirac, n'a donc pas permis le moindre rapprochement. Prudents, les deux hommes n'avaient pas prévu de conférence de presse commune. A l'issue de leur rencontre, Blair, très souriant, a toutefois reçu les journalistes à l'ambassade britannique, dissertant sur la nécessité de changer la façon de gouverner l'Europe. Le porte-parole de l'Elysée se contentait, lui, de rappeler, laconique, que Paris souhaitait un accord «raisonnable et équitable» et que chacun devait y «prendre sa part».
Soutenue par l'Allemagne, et dans une moindre mesure par les autres membres de l'UE, la France est partie en guerre contre le chèque britannique, jugé dépassé. Il avait été arraché en 1984 par Margaret Thatcher alors que la Grande-Bretagne était en crise. Mais aujourd'hui, son économie est l'une des plus florissantes de l'Union et le poids de ce rabais pèse sur les autres membres.
C'est faux, a répliqué Blair : la Grande-Bretagne est le deuxième contributeur net après l'Allemagne et les raisons de ce chèque restent valables. Pour lui, si l'on veut revoir les règles de fonctionnement de l'Europe, il faut tout revoir, et avant tout la PAC. «Je comprends qu'un pays veuille subventionner son agriculture», a-t-il lancé, allusion à la France. «Mais lorsque l'Europe engloutit 40 % de son budget dans un secteur qui emploie 2 % de la population, comment s'étonner que les Européens disent : "L'Europe, ça n'a rien à voir avec nous"», a-t-il ajouté. Et de regretter que l'Union dépense ainsi «dix fois plus pour l'agriculture que pour la science, la technique, la recherche, l'innovation». A Londres, on semble donc vraiment prêt à un bras de fer sur ce thème, malgré la promesse arrachée fin 2002 par Chirac d'un maintien de la PAC jusqu'en 2013. Excluant de renoncer à leur chèque, les Britanniques pourraient jouer la montre et le départ de Chirac en acceptant seulement un budget intérimaire de deux ans, à renégocier en 2007.
Sur l'autre grand sujet du Conseil, la crise institutionnelle, les positions semblent plus conciliables. Tony Blair appelle à une «pause de plusieurs mois» dans le processus de ratification de la Constitution qui permettrait une remise à plat des problèmes et des inquiétudes. Afin de permettre à tous les peuples de s'exprimer, Paris prône la poursuite des ratifications mais plaide pour que s'engage une vaste réflexion.
Le Premier ministre britannique, dont le pays va présider l'Union à partir du 1er juillet, paraît décidé à jouer l'intransigeance face à un Chirac affaibli par le non au référendum, au plus bas de sa popularité. Interrogé sur la fragilité de l'axe franco-allemand, il a expliqué qu'«il ne devait pas être le seul moteur de l'Europe». «Ce qui a changé, a-t-il asséné, c'est qu'il n'est plus possible de diriger l'Europe comme auparavant.»