[Boubou] a écrit :
Born to run a écrit :
[Boubou] a écrit :
Born to run a écrit :
Parce que ça laisse entendre que ça ne peut arriver qu'à des "monstres" de la trempe de Staline, Hitler, Goebles, Mussolini, Pinochet, Paul Pot et j'en passe.
Alors quoi? Les Allemands des années 30-40 étaient une génération de "monstres", 50 millions d'aliénés mentaux.
Non, définitivement je ne crois pas.
Attention, je n'excuse rien de ce qui a été fait, je dis juste que cela a été fait par des gens comme nous, dans des circonstances différentes,
c'est important à saisir si l'on ne veut pas que ça recommence...
Manifestement, tu manies là des notions que tu maîtrises de toute évidence mal, alors prudence...
dans ce cas je t'invite à me montre en quoi...
Es-tu certain de vouloir une mise au point sur le nazisme ?
Ce n'est pas le lieu, m'enfin, je vais essayer de ne pas faire trop long... La question de l'adhésion ou non du peuple allemand à la barbarie nazie, que tu soulevais dans un de tes précédents posts, est extrêmement complexe et se prête mal aux opinions "définitives" (sic) que tu émets...
Disons, pour faire très simple, que les historiens émettent aujourd'hui à ce propos deux thèses totalement contradictoires : la première, qui attribue à Hitler seul et à son entourage immédiat les errements du régime nazi et la responsabilité de la Shoa, est dite "intentionnaliste" ou "programmatiste". C'est la thèse que tu soutiens ici, puisque selon toi, il était impossible que les Allemands des décennies 30-40 aient constitué une génération qui ait adhéré pleinement et dans son ensemble aux projets hitlériens. Sache que cette grille de lecture est précisément celle qu'ont adopté les Allemands dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, lorsqu'ils ont cherché à minimiser leur responsabilité ; et c'est celle qu'utilisent aujourd'hui de nombreux historiens allemands tels que Ernst Nolte, dont les thèses sont hélas de plus en plus systématisées : Nolte et ses trop nombreux disciples, soucieux de minimiser la radicalité des projets hitlériens, clament depuis les années 1970 que l'extermination des Juifs était déjà présente chez Marx, que les camps d'extermination n'étaient qu'une réponse à la mise en place du goulag, mais même que le génocide juif n'était qu'un "assassinat préventif". Sans même s'attarder sur la charge idéologique profondément nauséabonde que porte cette thèse intentionnaliste, il convient de noter qu'une telle analyse fait une impasse totale sur la culture et les mentalités de l'Allemagne du XIXe et du premier XXe siècle, que la thèse "fonctionnaliste" ou "structuraliste" prend en compte.
Cette grille de lexture fonctionnaliste trouve son aboutissement dans les travaux de l'historien américain Daniel Goldhagen, et notamment dans son ouvrage
Les bourreaux volontaires d'Hitler, paru en 1996 pour l'édition originale et en 1997 pour la traduction française. Dans ce best-seller, Daniel Goldhagen décrit avec minutie les assinats de masse perpétrés - notamment par fusillade - sur le front de l'Est (Pologne, URSS) par les "Einsatzgruppen". Son analyse peut se résumer en trois points essentiels :
primo, les assassins allemands étaient animés par un antisémitisme viscéral ;
secundo, l'extraordinaire déchaînement de violence des tueurs allemands prenait sa source dans la spécificité même de la culture allemande ;
tertio, la population allemande dans son ensemble approuvait ces crimes... par antisémtisme viscéral. Boucle démonstrative parfaite... Même s'ils soutiennent parfois des opinions plus nuancées, les travaux de très nombreux autres historiens corroborent cet état de fait. Je te renvoie notamment au célèbre ouvrage intitulé
Des hommes ordinaires de Christopher Browning, consacré aux crimes perpétrés en Pologne par le 101e bataillon de police de réserve de Hambourg, ou encore aux travaux d'Omer Bartov sur la Wehrmacht sur le front de l'Est... Qu'on le veuille ou non, la culture allemande du XIXe et du XXe siècle est porteuse du nazisme : l'Allemagne, fille de l'ancienne prusse, vit depuis son unification dans les années 1870 dans la certitude - cultivée, transmise et enseignée aux jeunes générations -, que la "décadence" de la société européenne est telle que la "régénération" de la société allemande ne peut passer que par la guerre et l'élimination de catégories humaines jugées impures et accusées de parasitisme : Les Juifs sont concernés au premier chef, mais sont également visés les Tziganes et les homosexuels... Hitler est un produit de cette culture allemande, et celui-ci est arrivé au pouvoir au lendemain de la mort d'Hindenbourg par la seule voie des urnes. On connaît la suite : lois de Nüremberg, nuit de cristal... sans qu'à aucun moment ne s'élève de véritable contestation dans l'opinion publique allemande, parfaitement au fait du contenu de telles mesures.
Je me suis volontairement cantonné à l'essentiel, mais je me suis attaché à te montrer (puisque tu m'y invitais si aimablement
) que la question de l'adhésion des peuples à la barbarie, envisagée ici au travers du seul prisme du nazisme, ne doit être abordée qu'avec une extrême prudence, car elle mobilise un certain nombre de concepts qu'il est difficile de prétendre manier lorsque l'on s'en tient aux connaissances essentielles - et donc nécessairement simplificatrices - héritées de l'enseignement secondaire.
C'est pourquoi je tique toujours un peu lorsque, dans le cours d'une telle discussion, je retrouve en corrolaire à la question "Qu'aurais-je fait dans cette situation ?" - question légitime et qui gagne à être posée - de nombreuses références au nazisme et au génocide juif, trop souvent considérés comme les arguments-choc qui permettront d'avoir le dernier mot et cloueront le bec à un éventuel contradicteur, tant est grande la charge émotionnelle et les enjeux de mémoire d'un tel souvenir...
Merci boubou, pour tous ces informations.
Cela me fait penser à un article du quotidien allemand
Die Zeit repris dans le numero de courrier international du 03 Fevrier 2005 et qui analyse l'évolution du regard sur la shoah au cours des 60 dernières années.
En particulier l'article insistait sur le fait que la mémoire collective allemande avait profondement évolué entre 1995 et 2005.
Je cite: "le vieux débat allemand sur l’interprétation du passé a été tranché. Pendant des années, on s’était demandé si les Allemands n’étaient pas en droit de plaider une moindre culpabilité parce que le traité de Versailles était inique, parce qu’il y avait aussi le goulag ou parce qu’à l’époque on ne pouvait pas tout savoir. D’aucuns disaient que le moment était peut-être venu de laisser enfin les Allemands tranquilles avec la Shoah. On se disputait également pour savoir si l’Allemagne, en 1945, avait été écrasée ou libérée. En résumé, le consensus actuel peut se lire comme suit : Auschwitz a été un crime allemand, un crime unique ; l’Allemagne a été libérée ; les jeunes générations doivent assumer la responsabilité de l’Holocauste ; pour nous, la liberté ne réside pas dans le refoulement, mais dans le souvenir ; et qui a jeté une ombre ne peut espérer en sortir. Richard von Weizsäcker et Jürgen Habermas, le président et le philosophe, l’ont emporté sur Ernst Nolte et Martin Walser, l’historien et l’écrivain. Depuis lors, le thème d’Auschwitz a pratiquement quitté le terrain de la polémique en Allemagne. La question semble apaisée et même réglée. " Pourtant l'article ajoute aussi que les Allemands sont en train de revenir sur leur histoire en tant que victimes et, d’une certaine façon, de mener ainsi leur deuil à son terme. "Dans l’immédiat après-guerre, on avait beaucoup parlé des bombardements alliés et des expulsions des populations allemandes d’Europe de l’Est. En revanche, dans les années 1960, toute réflexion allant en ce sens était soupçonnée de vouloir faire des coupables des victimes, de mélanger causes et effets, de chercher à établir une comptabilité entre des crimes d’essence différente. Cette suspicion de révisionnisme a été souvent invoquée avec raison et était à l’époque parfaitement justifiée."[...]
"Le bilan des dix dernières années est donc double. Une juste interprétation de l’histoire allemande s’est imposée. Mais pourquoi ? Parce qu’on a compris, assurément. Mais aussi pour une autre raison, moins bonne : quand il n’existe presque plus de survivants, tant parmi les coupables que dans les rangs des victimes, on ne court plus le risque de refouler Auschwitz, mais plutôt de considérer l’événement sans souffrance, sans être véritablement remis en question dans sa germanité, dans son humanité. "
Désolé, je me suis un peu eloigné du sujet initial moi aussi, mais j'avoue que je suis trés interressé par ton point de vue d'historien dans ce genre de débat, n'ayant pas la culture nécessaire dans ce domaine pour alimenter correctement ma reflexion.
J'avoue en outre que ma culture "scientifique" me pousse automatiquement à me poser la question du referentiel dans toute situation. Dans le cas de cette video, ce qui nous pousse à l'horreur, c'est à mon avis autant, l'"identification" à la victime qu'un principe moral.
En résumé, pour repondre plus particulièrement à Nausikaa: iIl ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué