Je pêche, en barque, dans les gorges de la rivière d'Ain, dans l'une de ses retenues de barrage. Je suis passionné par la traque du Sandre, magnifique poisson carnassier argenté et réputé pour sa qualité gastronomique. J'arrive sur mon coin de pêche habituel, presque au milieu de la rivière, je lance mes lignes en éventail, pêchant sur un fond de 14 mètres avec comme esche des ablettes prises à la mouche, et qui sont les proies préférées de ce carnassier.
De chaque côté de la rivière se trouvent des collines avec de belles forêts de sapins, de chênes, de bouleaux, et j'entends les chasseurs, sur les collines surplombant les deux rives, en pleine action avec leurs chiens qui jappent sans cesse et qui perturbent la tranquillité habituelle du site. En estimant le nombre des chiens j'en déduit qu'ils chassent le sanglier, très présent dans le coin, car je les vois souvent traverser la rivière.
Puis, juste sur la rive en face, je distingue un animal qui rentre dans l'eau, je vois sa tête et lorsqu'il parvient à proximité de ma barque, je m'aperçois que ce que je croyais être un sanglier était en fait un chevreuil. Parvenu dans mon dos sur l'autre rive, il est accueilli par les chiens, et le voilà faire demi tour et nager vers la rive qu'il avait quittée au départ. Pas de chance, une meute de chiens l'attend et va le massacrer.
Mais voilà qu'il fait demi-tour, nage péniblement, visiblement fatigué par son aller-retour et stressé par tout ce bruit. Non, mais je rêve, le voilà qui se dirige vers ma barque, arrivé à quelques mètres, il roule de gros yeux effarouchés, il nage lentement, épuisé. Incroyable, il vient contre ma barque, et je l'empoigne, le sort de l'eau, et le pose au fond de mon bateau. il est terriblement essoufflé, et me fait pitié, je hais ces chasseurs qui me crient après: "Il va le mettre dans son congel, remets le à l'eau!"
Je leur réponds qu'il est venu de lui-même vers moi, et que je n'ai pas l'intention de lui faire du mal, mais au contraire je ne souhaite que lui sauver la vie. Ils me crient des noms d'oiseaux qui me laissent indifférent, je relève mes lignes, je plie mes cannes, je relève les poids qui constituaient mes amarres, et je pars avec mon moteur électrique sous les insultes et des cris de sauvages.
L'animal ne bouge pas, il est couché sous le banc arrière, toujours à la recherche de sa respiration normale. Arrivé au bord, je charge vite mon matériel dans la voiture, j'installe une vieille couverture dans le coffre, je prends mon animal dans les bras,et je le pose doucement. Je ferme mon coffre, comme cela si les chasseurs me retrouvent je leur dirai que je l'ai libéré. j'attache ma vieille barque à sa chaîne et je rentre à Bourg, distant de 20 km.
J'arrive chez moi, mes deux enfants de 4 et 6 ans sont dans la pelouse, et je leur dis: "je vous amène un bambi!" J'ouvre mon coffre, mon chevreuil est couché, tranquille, se laisse bien prendre dans mes bras et je l'emmène dans une pièce au rez de chaussée de mon pavillon. Mes enfants ayant un cobaye, j'amène celui-ci dans la pièce avec du foin pour les deux animaux ainsi qu'un récipient d'eau. (à suivre)