il faut replacer cette citation de picabia dans son contexte, car autrement elle risquerait d'être mal comprise... cette citation est là en premier lieu pour emmerder la stupidité de celui qui considère niaisement que l'art est fait "pour apaiser l'âme des hommes".
pour robert schumann, la vocation de l'artiste est de projeter la lumière dans les profondeurs du coeur humain. trop de gens lui ont donné au contraire pour mission de maintenir le primat des ténèbres sur la lumière. si l'artiste fut un voyant, il fut un voyant lucide. "l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible" (paul klee).
il rend visible ce qui est obscur, il éclaircit ce qui est trouble.
de même que la philosophie s'opposa à la représentation sensible afin de l'élever au concept, l'art affronta le monde intérieur immédiat afin de l'humaniser. l'art est donc lutte contre le fantasme et exactement l'inverse de ce qu'on en fait habituellement.
c'est le propre de l'art inférieur de flatter la réalité fantasmatique dominante, rejoignant les pseudo-philosophes qui vulgarisèrent la pensée de leurs prédécesseurs en une doctrine idéologique. ainsi, les alexandrins par rapport à l'âge d'or de la philosophie grecque, ou schopenhauer par rapport à kant.
comme la philosophie, l'art fut une arme de la conscience et si, comme l'a cru kandinsky, son but était de développer et d'affiner l'âme humaine, il sert trop aujourd'hui à enfoncer plus profondément cette âme dans la morbidité de son malheur, à l'inciter à s'y complaire et à justifier par la "sublimation" sa misérable condition. enfermé dans une telle fonction, "l'art est un produit pharmaceutique pour imbéciles", terriblement ennuyeux de surcroît, une faiblesse de la cervelle, une activité obscurantiste, désuète et par laquelle les impuissants essaient de vivre.
voilà donc la citation de francis picabia remise dans son contexte, celui du livre de francis pagnon à propos de wagner, qui lui donne tout son sens.
et pour rester dans le domaine du cinéma, je trouve mon post sur "mille milliards de dollars" vraiment très bon :
jules_albert a écrit :
"mille milliards de dollars", dirigé par henri verneuil, est un film plein de faiblesses où surnagent quelques bribes de vérités tout de même assez rares au cinéma. le personnage incarné par dewaere est d'une grande niaiserie politique. c'est une sorte de semi-gauchiste qui prend la presse pour un contre-pouvoir ! henri verneuil n'est guère plus averti que son personnage, hélas. ce film aurait pu être beaucoup plus fort, d'une noirceur absolue.
le film traite de l'emprise des multinationales sur tous les aspects de la vie, et de la façon dont elles se sont appropriées la planète et ses habitants. cette conquête du monde passe par la deuxième guerre mondiale et le financement du nazisme, un des bras armés du capitalisme.
dans les années, 10, 20 et 30, les mouvements révolutionnaires menacent partout l'ordre établi du capitalisme qui a mené le monde à la boucherie de 14-18. en allemagne, le mouvement prolétarien est particulièrement fort. le capital réagi en armant et finançant des groupuscules et des sectes racistes qui, simulant l'agitation révolutionnaire, attirent dans leurs rangs la petite-bourgeoisie ruinée par la guerre et la crise. la secte nazie prend le pouvoir uniquement grâce à l'aide considérable des industriels allemands, mais aussi américains... dès 1923, l'industriel henry ford finance la secte hitlérienne, et hitler en 1938 lui otorgue la grand-croix de l'aigle allemand, honneur qu'aucun américain n'avait reçu auparavant.
pour en revenir au film, il est facile de reconnaître dans les agissements de la compagnie gti, la compagnie américaine itt ITT (y compris la participation dans focke wulf) qui elle aussi finança les nazis sans être le moins du monde inquiétée à la soi-disant "libération" ("changer une occupation militaire par une occupation économique"). la compagnie itt parvint même à se faire rembourser le coût de ses usines bombardées par les alliés en allemagne.
la contre-révolution stalinienne prit part elle aussi au renforcement du nazisme en lui livrant 900'000 tonnes de produits pétroliers, 500'000 tonnes d'acier, 300'000 tonnes de ferraille, 900'000 tonnes de zinc, 100'000 tonnes de chrome, 11'000 tonnes de plomb, 3000 tonnes de nickel, 1000 tonnes de molybdène, wolfram et cobalt, 500'000 tonnes de phosphates, un million de tonnes de céréales et 100'000 tonnes de coton.
en allemagne, les géants industriels krupp et ig farben soutinrent massivement les nazis. krupp était une des principales puissances industrielles du monde : 12 sociétés minières, 35 sociétés métallurgiques et une cinquantaine de comptoirs commerciaux. quant à l'ig farben, elle était alors le regroupement de 9 firmes chimiques-pharmaceutiques qui ont pudiquement repris depuis leur ancienne appellation : a.g.f.a., les laboratoires hoecht, les laboratoires bayer, la b.a.s.f., etc.
qui peut croire que de ces holdings allemands, et après l'application du plan wilson pour l'allemagne, aient eu une réelle indépendance nationale ? dans les années 30, l'enjeu de toute l'affaire n'était-il pas lui-même mondial ?
le nazisme, lourdement financé par un capitalisme sans état d'âme national, a donc servi à mettre au pas le peuple allemand, que la défaite militaire, le chômage et la misère menaient à une révolution sociale. il s'est ensuite étendu, par la propagande et la force armée, à toute l'europe, pour y prévenir les mêmes dangers. il a joué le rôle d'une troupe de rabatteurs et de lansquenets lancée contre une jacquerie. de l'argent a banalement financé des troupes pour protéger l'argent.
la nouveauté de ce mouvement, comme du stalinisme russe et du fascisme italien, a résidé dans sa prétention mensongère d'être la révolution qu'elle interdisait.
le programme de ceux qui n'étaient que la police du capital international fut donc "nationaliste" et "socialiste", réclamant même un "espace vital" et une "dignité" pour ceux qui avaient, en effet, quelques raisons d'y prétendre. le nazisme a jeté en pâture aux révoltés un illusoire ennemi (le juif) afin de les remettre au travail. mais le nazisme a été la seule révolution sociale que le capitalisme mondial pouvait se permettre d'offrir aux dangereux ouvriers allemands.
quand la remise en ordre de l'europe fut achevée, l'aventure nazie fut liquidée par ceux-là même qui l'avaient armée. le monde a découvert alors, horrifié, les camps de la mort, les chambres à gaz, l'épouvantable massacre. monsieur krupp, les dirigeants de l'ig farben et leurs collègues internationaux ont beaucoup pleuré. l'allemagne a été regardée avec horreur, surtout les ouvriers allemands par les financiers anglo-américains et par les dirigeants soviétiques (qui avaient livré à hitler des millions de tonnes de matières premières indispensables à ses opérations militaires).
on a organisé un procès, pendu une poignée de petits gangsters psychopathes, et surtout on a posé cette question lancinante : comment un peuple qui avait failli déclencher une révolution européenne avait-il pu en venir là ?
on entendit alors "tout ce choeur de calomnies que le parti de l'ordre ne manque jamais, dans ses orgies de sang, d'entonner contre ses victimes" (k. marx). des experts en socio-psychiatrie ont dénoncé sévèrement la "paranoïa collective" de l'allemagne, les "idées délirantes" à propos d'une prétendue "domination secrète", et les "entreprises anti-démocratiques" opposées à la "représentation nationale".
depuis soixante ans, ceux qui ont financé l'aventure hitlérienne et la construction d'auschwitz financent ainsi les calomnies contre le peuple allemand. et ces calomnies sont surtout préventives : destinées à interdire toute évocation future d'une conspiration des gestionnaires du monde actuel pour la protection de la machine économique qu'ils servent.
les criminels de guerre sont donc toujours au pouvoir aujourd'hui et le vrai procès du nazisme n'a jamais été ouvert.
pour en savoir plus, regardez le film de verneuil, ou beaucoup mieux, lisez "l'art de céline et son temps" de michel bounan.