Vincentvice a écrit :
""Je n'ai jamais souhaité participer, mais on est venu me chercher....", c'est vrai que ça fait pas prétentieux. Enfin, ce n'est peut être pas en ce sens qu'il a voulu le dire....."
Salut
Je trouve ça tendancieux ce que tu écris parce que dès qu'on recontextualise des propos à l'aune de son propre système de valeurs, on leur fait toujours dire quelque chose qui renforce ce référentiel, au lieu d'être dans la compréhension rationnelle de ce que l'autre a dit, a voulu dire. C'est un sale système celui de la communication de masse, parce que ça détourne toujours les propos de leur sens, et ça encourage à le faire. Je crois qu'il vaut mieux être conscient du processus, parce que l'entreprendre sur les propos d'un autre, c'est toujours prendre le risque un jour, d'être victime des mêmes procédures. Ca se vérifie bien sur les forums webs !
L'autre truc, c'est que je ne comprends pas pourquoi on devrait mettre les pratiques d'un artiste à l'index du discours qu'il est amené à tenir dans des interviews qui sont trop directives pour que l'artiste ait la possibilité de dire de quoi retourne effectivement ses pratiques. Tout est orienté dans les interviews, et puis, dans le rendu final de l'interview papier, il y a tout un travail d'édition qui altère encore plus le discours de l'artiste.
Je dis tout ça parce que je le vois bien avec ce qui s'est passé sur Zappa, et je travaille avec suffisamment de documents pour observer l'écart monstrueux entre ce qu'il a dit et ce qu'on lui a fait dire (raison pour laquelle il a toujours chié sur la presse et les biographies).
D’un point de vue général, sur le thread, si vous me permettez d’en tirer un bilan : je constate que les polémiques sont liées à des désaccords esthétiques, et je vous trouve en général pas différents dans vos valeurs que ceux qui cassent la musique que vous faites ( je parle des acteurs du champ rock), en tant que vous fondez souvent votre évaluation de la musique sur des choses qui lui sont externes. Je trouve bizarre aussi que certains se réapproprient les procédures de discrimination du champ musical des élitistes qui concèdent aucune valeur à votre musique.
Moi, à bosser sur zappa, j’ai appris à penser la musique au-delà des polarités art/non art, savant/populaire. J’ai compris aussi qu’on ne pouvait comprendre un artiste que depuis son propre référentiel, parce qu’avec Zappa, aucune des valeurs qu’on peut appliquer sur le champ musical ne marche. J’ai exploré tout ce qui avait pu se dire ou s’écrire sur lui, depuis quoi ça se fondait, et c’est marrant parce que souvent, très souvent, on lui a fait les mêmes reproches que ce que certains ici ont reproché à pascal, ce qui j’imagine, doit en surprendre certains vu que Zappa est devenu une espèce d’institution maintenant.
Je suis passée au MAI une fois pour accompagner le bassiste du groupe où joue mon chéri ( Renny Perron, le sax de Fahem, je dis ça juste pour préciser que si je ne suis pas musicienne, je connais bien le milieu des intermittents, des musiciens, la précarité aussi dans laquelle se fait aussi la musique, et que c’est sûrement en pensant à mon Renny, à ses doutes, aux compromissions auxquelles le contraignent parfois le métier de musicien que je prends la défense de votre Pascal) …. Donc je suis passée au MAI une fois et sur le mur du hall, en caractères énormes, il y avait « shut and play… » avec une photo de Zappa. Vous voyez, c’était présenté comme une citation, alors que c’est pas une citation de zappa : c’est une citation par zappa de ce que lui disaient les gens, surtout les musiciens ( qui lui reprochaient trop de blah blah, trop de compromissions médiatiques, trop d’interférences discursives dans les morceaux). En fait la phrase là, « ferme ta gueule et joue » c’est la réponse ironique de zappa qui dit « connards, si j’avais pas tant parlé, vous m’auriez jamais écouté, si j’étais pas rentré dans l’arène du discours, vous m’auriez jamais écouté parce que quand je faisais de l’instrumental, personne ne m’écoutait »
Je me permets de revenir là-dessus parce que je crois que dans le contexte actuel de la musique il faut vraiment faire l’effort de repenser une nouvelle esthétique musicale, histoire de pas court-circuiter l’entreprise de vrais artistes comme Pascal pour de mauvaises raisons. Je trouve aussi que les artistes sont suffisamment jugés pour des mauvaises raisons pour ne pas s’infliger entre eux les mêmes jugements auxquels les vouent la critique ( qu’elle soit médiatique ou musicologique).
Je me permets, en conclusion, de republier le post que j’avais écrit en réponse à Shooflypie"vu qu’à cause d’une fausse manip, il est passé à l’as. C’est pas que je trouve que ce que je pense soit important, mais vraiment, ce que Zappa pense l’est, et je sais pour en avoir fait l’expérience auprès d’amis musiciens, que la pensée de Zappa peut être réconfortante, voire libératrice, chaque fois qu’on les met en injonction de justifier leurs pratiques, chaque fois qu’on dispute leur droit à l’autonomie.
A tous bon courage et bonne continuation, et désolée de la longueur du post mais on traite pas d’un sujet complexe à la va vite. Je remercie tous ceux qui par leurs posts sur Pascal ont contribué à mieux me faire penser des problèmes auxquels j’ai été confrontée dans le cadre de mon travail sur Zappa.
e="Shooflypie"]
Y aura tout eu sur ce thread : "il chante mieux que Tyler", c'est la "révélation rock de l'année"... et voilà que maintenant c'est le nouveau zappa.
Il y aura toujours du Zappa quand un musicien crie " the present day composers refuses to die" et qu'il sait en faire vibrer sa musique sur un mode ni pleureur, ni gnangnan, et surtout chaque fois que le mec tout le faisant, sait prendre authentiquement son pied à faire de la musique. La joie c'est important chez Zappa, c'est l'essence même de la musique pour lui. Et ça c'est possible à atteindre non pas en sublimant le fait qu'on préférerait chanter ou jouer autre chose, même en transfigurant la chose qu'on doit jouer, en se l'appropriant furieusement.
tu écris aussi : « bah à ce moment là pourquoi il a pas fait du zappa alors ? La production lui a pas permis. Je vois bien Zappa acceptant de reprendre "Tata Yoyo" pour passer à la télé . Tu crois que Zappa acceptait qu'on lui dise ce qu'il devait faire : c'est exactement le contraire de ce qu'il a fait toute sa carrière. »
Mais Zappa, il a repris pire que tata yoyo ! Quand il a recruté George Duke, il a fait jouer des ditties et le brave George a pris ça pour une insulte à son talent de virtuose. Et tu vois, avec le temps, il a pris conscience qu'il y avait du génie là dedans. Tous les ziquos de zappa ont été obligés de faire les clowns, alors que c'étaient des pointures ! D'ailleurs, en parlant de tata yoyo, il y a pas mal de kazoo chez Zappa...
Zappa n'en a fait qu'à sa tête, mais c'est parce que sa tête a su composer avec la loi du marché, et qu'il a su composer sa musique avec ça ! En société libérale, tout, absolument tout est voué à être récupéré par le capitalisme. Lui a su monter une esthétique à partir de ça. Il a été réaliste. Son choix, c'était de faire de la musique et d'en vivre. Et il a fait ce qu'il avait à faire pour y réussir, en se désolidarisant des idéaux modernistes de ceux qui lui avaient donné envie de faire de la musique ( Boulez, Varèse, stravinsky). Au départ lui, il n'aurait bien écrit que de la musique atonale ( il a commencé la compo avec du sériel avant le rock). En dérogeant à ses idéaux qui étaient externes à sa réalité, il a su trouver son style à lui, à partir d'une musique populaire dont il était pas fan.
[tu écris :
« Si il était pas au courant qu'il participait à une émission de télé réalité, y a un gros gros problème de sa part. Il a fait ce qu'on lui demandait point barre.
comment a-t-il fait pour tenir !! : le manque d'intégrité, le compromis. Bazzman a employé un autre terme mais bon... je préfère pas. Là encore il a fait ce qu'on lui demandait point barre. Pour de l'argent, on fait pas la star académie pour des raisons "artistiques".
Tu sais que John Cage a fait un jeu télévisé sur la télé italienne pour financer un projet : il était incollable sur les champignons, le jeu permettait de choisir une thématique, alors il a pris ça, et il a répondu sans faute émission après émission, pour finalement toucher la cagnotte. Pour un vrai musicien, c'est la musique qui compte, tu sais. Zappa a lancé sa carrière médiatique en participant au Setve allen show : si t'était bizarre, tu pouvais passer à la téloche pour amuser la galerie, et lui s'est présenté en disant qu'il pouvait faire de la musique avec des vélos. Il a accepté de faire le clown pour faire la promotion d'un film dont il avait écrit la bande son. A l'époque, il n'avait pas encore formé les mothers. Quand il a formé le groupe, l'affiliation aux Freaks via le titre du premier album, c'est du marketing, la carte de la freak attitude dessinée pour le deuxième album aussi : il avait du mépris pour toute forme de communautarisme, mais vu qu'aux states, c'est impératif pour décrocher un contrat de se placer comme catégorie culturelle, il a laissé croire que des freaks, il était le roi !
son premier contrat zappa l'a eu en faisant croire qu'il faisait du blues, vu que le mec qui l'avait remarqué avait entendu les mothers faire des reprises : au départ c'était un groupe qui vivotait en faisant de la reprise de rythm and blues. Il avait pas entendu les compos que Zappa avait difficilement imposé au groupe - qui était au départ un groupe de covers de blues où il n'avait été embauché que pour être guitariste). Et Zappa lui a laissé croire ... et il a fait son truc, et il a profité du fait qu'à l'époque on sortait du disque à tour de bras sans trop veiller à ce qu'on faisait.
Sinon ce que tu dis que Pascal fait en prenant par à la star ac : ben en fait tu soupçonnes pas, quand tu écoutes du Zappa, que ce que tu décries - le faire de faire des trucs contre lesquels on est) c'est ce que certains musiciens de Zappa ont déploré pour eux-mêmes ( si tu crois que tous ont fait les cons pour faire le show de gaieté de coeur...). La majorité ne venaient pas du rock, mais du jazz, ou du conservatoire, alors en fait pour eux, c'était hard de faire les cons, ça contrevenait à leur éthique de la musique. Zappa a cassé leur esprit de sérieux pour leur imposer le sien, et le sien veut que l'esprit de sérieux au sens traditionnel, nuit au sérieux tout autre, de la musique.
Il y a Nicolas Slonimsky, un ami de Varèse et auteur d'un livre qui fait loi pour les musicologues et les acteurs du monde de la musique contemporaine, qui a dit de zappa qu'il avait fait la musique que Varèse aurait fait, ce qui est un compliment qui ne viendrait à l'idée d'aucun acteur de la musique dite "sérieuse" ou "savante"( vu qu'eux ont eu tendance jusqu'à il y a pas longtemps, à voir dans son rock une compromission commerciale). Il dit que Zappa a su agir le concept d'une musique "une", sans les frontières hiérarchiques entre musique pop et musique savante, et que ça, c’était la marque authentique de son génie.
Ca me fait vraiment drôle quand sur un forum d'obédience rock, on se réapproprie les arguments qui servent les élites qui discréditent le rock.
La musique, le talent, est ailleurs que dans les critères qui la discriminent et qui en discriminent les acteurs.
Ce qui est triste avec le cas de Pascal, c'est qu'au delà de l'aventure personnelle, il montre bien que les limites de ce qu'un musicien doit faire pour trouver son public ont considérablement été repoussées. On se croirait un peu dans les prémonitions du Joe's Garage ! Je m'inquiète plus de son état psychique après plusieurs mois d'enfermement, ou le fait qu'éhontément on ait montré les pleurs et les joies qu'il n'a pas pu humainement réprimé, que de sa récupération de la récupération capitaliste de la musique. Un bon musicien, un bon chanteur qui passe à la télé, ça ne nuit à personne et surtout pas aux musiciens, et surtout pas à la musique ! Au contraire !!
tu as conclu :
"Tu parles de Zappa mais Zappa il a apporté quelque chose, un plus. Il est où le plus là ? "
Tu sais, les fans de Zappa sont réputés être difficile, et moi ses performances, à Pascal, m'ont convaincue. C'est un excellent chanteur, un vrai show man, et un mec qui a la classe. C'est un vrai professionnel parce que le contrat il l'a conclu avec le public : il a donné le meilleur de lui-même sur des chansons dont je doute que toutes lui ait plu. Ca c'est remarquable.
Il s'agit pas de le comparer au compositeur Zappa ( ce qui serait une hérésie pour une fan comme moi, en plus une zappalogue, zappa pour moi, c'est du sérieux). Il s'agit de proposer une interprétation de la participation de Pascal Mono via l'idée et la performance de la musique selon Zappa ( déduite de son oeuvre, et de ses très nombreuses interviews , deux champs où il ne parle que de ça : qu'est-ce que la musique, qu'est-ce que c'est qu'être musicien, qu'est ce que c'est qu'être autonome en tant qu'artiste dans une société capitaliste ). Le pauvre Pascal se voit jugé sur des critères qui sont trop unilatéraux, donc c'est pertinent de basculer ce qu'on lui reproche dans le contexte Zappa ( vu que je doute pas qu'ici il y ait des fans). L'arbitrage Zappaïen vote pour Pascal, et il est bien plus équitable que celui des détracteurs de Pascal parce que qui, parmi ses détracteurs, peut prétendre à l’intelligence esthétique de Zappa hein, qui ?
Je trouve que les musiciens gagneraient à écouter un peu Zappa, pas seulement sa musique, mais ce que Zappa dit entre les lignes. Sinon un précepte zappaïen c'est "anything anytime anyplace for no reason at all" : chacun fait ce qu'il veut sans avoir à répondre de ses actes devant le tribunal des arguments biaisés par ... you fill in the blank ! On doit laisser le loisir à un musicien de ne s’autoriser que de lui-même, c’est déjà assez dur de faire de la musique !! Moi je ne suis pas musicienne, moi je trouve ma joie dans le produit de leur travail. Donc je ne ferai pas la promotion d’une éthique qui préconise que les bons musiciens crèvent !
Moi je trouve ça cool que Pascal ait trouvé un moyen de nourrir ses gosses, en continuant de faire de la musique. Tu souhaites quoi pour lui : une fin à la Joe, seul dans sa cellule, réduit à imaginer les solos de guitare qu'on ne lui laissera pas jouer.
Tu finis par
« A quand une soirée Zappa le vendredi soir sur TF1 ?[/quote]
C'est sûrement avec des mecs comme Pascal qu'un jour se sera possible ! Tout le monde a le droit d'écouter de la bonne musique, et tout le monde ne peut pas se passer d'une médiation télévisuelle. Ca en dérangerait certains qui crieraient à la trivialisation de l'œuvre du maître qu'ils veulent conserver pour eux, entre happy fews. Moi j'estime que tout le monde a le droit de découvrir Zappa, de se l’approprier. Zappa a dit « j’espère que notre déviance inspirera d’autres déviants ». C’est pas qu’une œuvre à écouter, mais c’est aussi un côté intempestif à prendre pour trouver le moyen de construire la singularité de son style, dans un monde hostile à la création.
Bien cordialement
la zappette de nancy