pour ceux qui voudraient comparer joker à orange mécanique :
En fin de journée, nous sommes allés voir Clockwork Orange, non sans faire la queue une heure. Hélas ! Hélas ! Hélas ! C'est sans doute "plein de qualités", comme on dit, mais c'est un mauvais film, qui répond aux questions que je me posais sur Kubrick, mais n'y répond pas comme je m'y attendais. Strangelove pouvait être considéré comme un film contre l'État et le système militaire nucléaire ; 2001 comme l'illustration extrêmement brillante d'une petite intrigue comme il en traîne beaucoup dans la S.F. - l'équivalent luxueux d'un texte de Harlan Ellison. On pouvait imaginer qu'en s'attaquant à "la question de la violence", Kubrick remettait ses talents de producer illustrateur au service d'une pensée intéressante. Ce n'est pas le cas.
Le scénario s'y prêtait pourtant : un délinquant juvénile qui est un véritable chien enragé est emprisonné et subit un traitement qui doit provoquer en lui un réflexe de répulsion à l'idée de la violence et du sexe ; devenu un mouton refoulé, il est remis en liberté ; ses anciennes victimes s'attaquent alors à lui et chacune manifeste une violence et une cruauté abjectes ; le héros tente de se suicider ; à l'hôpital, il constate qu'il est guéri de sa douceur, dans le moment même où il comprend aussi qu'il a désormais barre sur le gouvernement à cause du scandale public déclenché par son cas. Fin.
Hélas, les situations et les personnages sont si abstraits qu'il n'est pas possible de se méprendre sur le fait que Kubrick nous parle ici d'une prétendue "violence inhérente à la nature humaine, que la société de consommation déchaîne". Kubrick ne nous montre rien d'essentiel lorsqu'il décrit la société légèrement futuriste où se déroule l'action. Il ne comprend rien à la société spectaculaire-marchande, et donc il ne comprend rien à la violence, et son film est niais. C'est d'autant plus déprimant que les talents de Kubrick, en tant que producer décorateur illustrateur, sont toujours là. Caméra, direction d'acteurs, cadre, couleurs, cet homme a des idées sur tout sauf sur l'essentiel. - Manchette, Journal (27 avril 1972)