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Le "monstre" de l'Eurovision a un visage
LE MONDE
Une photo publiée, acte jugé blasphématoire par des dizaines de milliers de fidèles, une pétition rageuse, un appel au boycottage, des menaces contre un magazine, des renforts de police devant la rédaction, les excuses officielles du journal...
Non, il ne s'agit pas du quotidien danois Jyllands-Posten et de ses caricatures de Mahomet, mais bien d'un hebdomadaire finlandais qui a osé publier la semaine dernière la photo sans masque de monstre de Tomi Putaansuu, le chanteur de Lordi, le groupe de hard rock finlandais qui a remporté le concours de l'Eurovision le 20 mai à Athènes avec son morceau Hard Rock Hallelujah.
La photo, qui date déjà de sept ans, a fait la "une" du magazine people 7 päivää (Sept jours). La réaction des fans finlandais a été immédiate pour prendre la défense des monstres. Car Tomi Putaansuu, grand admirateur du groupe américain Kiss, dont il porte des tatouages, avait demandé à la presse de respecter l'anonymat visuel du groupe afin de préserver sa mystique : les chanteurs n'apparaissent que grimés, au prix de plus de trois heures de maquillage et d'habillage.
D'autres journaux, notamment en Allemagne et en Suède, ont publié des photos, mais il s'agissait parfois d'anciens membres de Lordi, voire de membres d'autres groupes de hard rock. Mercredi 25 mai, la rédactrice en chef du magazine a dû présenter des excuses publiques au chanteur et responsable du groupe après la vague de protestations. Une pétition sur Internet aurait rassemblé plus de 200 000 signatures en Finlande et de nombreux lecteurs ont résilié leur abonnement.
Dans un élan déontologique qui a surpris bien des Finlandais venant du journal 7 päivää, la responsable a promis qu'à l'avenir elle s'abstiendrait de publier toute photo des membres de Lordi sans leur autorisation. En France aussi, des milliers de fans ont signé une pétition, mais cette fois-ci pour protester contre les propos jugés méprisants de Michel Drucker et Claudy Siar, les deux présentateurs de la soirée française de l'Eurovision, qui avaient lancé : "J'imaginais pas les Lapons comme ça. Ils seront au zoo de Vincennes à la rentrée."
Rovaniemi, en Laponie finlandaise justement, dont est originaire Tomi Putaansu le chanteur du groupe, ville déjà capitale du Père Noël, aura bientôt sa place Lordi. Les Finlandais, qui ont une forte tendance à douter d'eux-mêmes, se sont ainsi entichés de leurs nouvelles idoles, qui ont effacé quarante ans d'humiliation à l'Eurovision. Comme l'a écrit un journal local, ils avaient choisi d'y envoyer Lordi, car ils pensaient que la Finlande n'avait de toute façon plus rien à perdre.
A leur retour triomphal à Helsinki, les monstres ont "pardonné à tous ceux qui avaient douté", entre autres à ceux qui les ont soupçonnés de penchants satanistes. Beaucoup de Finlandais avaient craint que ces monstres de latex n'écornent l'image du pays à l'étranger, mais les médias et les officiels les décrivent maintenant ouvertement comme des héros. Désormais, il faudra parler de la Finlande comme du pays de Nokia et de... Lordi.
Le soutien populaire semblait bien réel dès avant leur victoire, puisque des organisations et des particuliers avaient mis la main à la poche afin de financer les effets pyrotechniques nécessaires à leur jeu de scène. Vendredi 26 mai, le groupe Lordi a remercié les généreux donateurs en donnant un concert gratuit au coeur d'Helsinki. Près de 100 000 personnes y ont assisté, un record pour un pays d'un peu plus de 5 millions d'habitants.
La soirée s'est transformée en un karaoké géant - genre très apprécié des Finlandais - et même la présidente sociale-démocrate, Tarja Halonen, est montée sur scène pour leur remettre une immense clé en bronze offerte par la Fédération du travail finlandais. Grand seigneur, le chanteur masqué avait demandé aux spectateurs de ne pas faire preuve d'agressivité envers les journalistes voleurs de visage.
Olivier Truc