" le terme racaille prend figure d’auberge espagnole : on y met ce qu’on entend y trouver. La racaille devient un mot fourre-tout que le phantasme peut manipuler aisément, il devient instrument des pulsions de mort et du rejet de l’autre.
* Phantasme de celui qui renomme avant d’avoir recours à la violence pour déshumaniser ses victimes. Le fait n’est pas nouveau et déjà Elsa Triolet écrit en 1944 dans un recueil de nouvelles sur la Résistance :
« Il leur fallait quelqu'un à qui s'en prendre, quelqu'un qu'on pourrait haïr sans danger (...) ceux qu'on appelait les dissidents, les réfractaires, les patriotes ou simplement les jeunes... la résistance, ce ramassis de vauriens, cette racaille, ces bandits, la résistance, que le diable l'emporte! »
(in Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, p. 410). Une fois l’ennemi déshumanisé, le poids de la culpabilité se fait moins lourd.
* Phantasme encore de celui qui s’auto-proclame racaille, ou caillera en verlan, terme toujours aussi flou qui vise plutôt à qualifier une attitude aux contours mal définis. Soit qu’il s’agisse d’une héroïsation par les connotations viriles et en marge de la délinquance, soit qu’il s’agisse d’une revendication à l’appartenance d’un méta-gang, soit une valorisation de sa marginalisation par la dérision ou la provocation ("Le blues des racailles", album de Tonton David, 1991).
* Enfin, la racaille peut-être aussi le recours lexical de celui qui ne peut nommer un agresseur autrement, soit par peur de représailles, soit parce que la ou les personnes n’ont pas été reconnues. C’est l’utilisation qu’en fait Albert Camus dans La Peste :
« Grand avait même assisté à une scène curieuse chez la marchande de tabac. Au milieu d'une conversation animée, celle-ci avait parlé d'une arrestation récente qui avait fait du bruit à Alger. Il s'agissait d'un employé de commerce qui avait tué un Arabe sur une plage. «Si l'on mettait toute cette racaille en prison, avait dit la marchande, les honnêtes gens pourraient respirer.» Mais elle avait dû s'interrompre devant l'agitation subite de Cottard qui s'était jeté hors de la boutique sans un mot d'excuse. »
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Que l'on m'explique maintenant ce qu'il y a de choquant dans l'emploi de ce terme....